Élu président, quelques jours après sa sortie de prison et après un report contesté du scrutin, à l’âge de 44 ans, Bassirou Diomaye Faye est le cinquième président du Sénégal, et aussi le plus jeune, après la reconnaissance de sa victoire dès le premier tour le 25 mars, par son principal concurrent, Amadou Ba et le président sortant Macky Sall.
« Le peuple sénégalais a fait le choix de la rupture »
Selon des résultats encore non officiels, le compagnon d’Ousmane Sonko a remporté la présidentielle du 24 mars dès le premier tour. Les Sénégalais ont élu Bassirou Diomaye Faye, car il incarnait la ‘’rupture’’ et le ‘’changement’’. Selon les premières tendances, annoncées par la radio sénégalaise Futurs Medias, il aurait obtenu 57 % des voix, contre 31 % pour son principal concurrent, Amadou Ba.
« Au regard des tendances des résultats de l’élection présidentielle et en attendant la proclamation officielle, je félicite le Président Bassirou Diomaye Diakhar Faye pour sa victoire dès le premier tour », a déclaré lundi 25 mars l’ancien Premier ministre Amadou Ba, son principal rival dans la course au pouvoir.
Macky Sall a félicité à son tour le candidat donné comme victorieux, saluant une « victoire de la démocratie sénégalaise ». « Je salue le bon déroulement de l’élection présidentielle du 24 mars 2024 et félicite le vainqueur, M. Bassirou Diomaye Faye, que les tendances donnent gagnant. C’est la victoire de la démocratie sénégalaise », a tweeté le président sortant, le 25 mars 2024.
Le vainqueur annoncé de la présidentielle au Sénégal, a effectué une apparition publique lundi soir, au lendemain du scrutin. « Je voudrais dire à la communauté internationale, à nos partenaires bilatéraux et multilatéraux, que le Sénégal tiendra toujours son rang : il restera le pays ami et l’allié sûr et fiable de tout partenaire qui s’engagera avec nous dans une coopération vertueuse, respectueuse et mutuellement productive », a-t-il dit devant la presse.
M. Diomaye Faye entend porter l’idée de changements au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, la Cedeao : « Je lance un appel à nos frères et sœurs africains pour qu’ensemble, nous consolidions les acquis obtenus dans les processus de construction de l’intégration de la Cedeao tout en corrigeant les faiblesses et en changeant certaines méthodes, stratégies et priorités politiques. »
« Le peuple sénégalais a fait le choix de la rupture », considère le plus jeune chef d’État de l’histoire de son pays. La rupture avec le système en place. Il assure que ses « chantiers prioritaires » seront « la réconciliation nationale », une refonte des institutions, le « renforcement de notre vivre-ensemble », « l’allègement sensible du coût de la vie », « les concertations nationales inclusives, sectorielles, sur l’évaluation et la relance des politiques publiques ».
Quel est le programme de Bassirou Diomaye Faye ?
Restaurer la démocratie
Bassirou Diomaye Faye assure que le fondement de son projet est “la réhabilitation des institutions de la République” et “la restauration de l’État de droit” bafoués selon lui par le régime du président sortant Macky Sall. Il dit vouloir lutter contre “l’hyperprésidentialisme”, qui a engendré une “mainmise de l’exécutif sur le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire” et a conduit ces dernières années, selon lui, à une “instrumentalisation de la justice” pour traquer les opposants et les emprisonner.
Le prochain chef de l’État promet de limiter les pouvoirs du président, susceptible de destitution, de créer un poste de vice-président, d’interdire le cumul des mandats électifs, de lutter contre la corruption et d’instituer des peines alternatives à l’emprisonnement.
« Que personne ne nous fasse croire qu’on ne peut pas incarner notre propre souveraineté. Nous serons désormais un État souverain, indépendant, qui collaborera avec tout le monde, mais dans des partenariats gagnant-gagnant », a déclaré le charismatique Ousmane Sonko lors du dernier meeting de campagne de son candidat.
Le nouveau président promet une réappropriation de la souveraineté, mot employé 18 fois dans son projet. Il assure qu’il renégociera les contrats des mines et des hydrocarbures, dont le début de l’exploitation est prévu cette année. Il souhaite également réévaluer les accords de pêche avec les acteurs étrangers, alors que les ressources halieutiques qui font vivre environ 600.000 familles s’amenuisent, pillées selon eux par des chalutiers européens et asiatiques.
Nouvelle monnaie
Bassirou Diomaye Faye promet également une réforme monétaire, voire la création d’une monnaie nationale, le Sénégal, à la place du franc CFA hérité de la colonisation dans plusieurs pays africains. Il a souligné durant la campagne que cette mesure, vue avec appréhension dans les milieux économiques, ne serait pas immédiate et ne s’effectuerait que sous certaines conditions strictes.
Il a précisé sa pensée dans un entretien au quotidien français “Le Monde”. Pour sortir du franc CFA, « l’idéal serait de le faire dans le cadre de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) avec l’éco”, le projet de monnaie unique ouest-africaine qui tarde à aboutir. Nous pourrions avoir soit une monnaie nationale arrimée à une monnaie communautaire, soit une monnaie commune », explique-t-il. « Si le projet n’aboutit pas, nous devrons envisager de prendre seuls notre souveraineté ».
Rééquilibrer les partenariats
Le nouveau dirigeant sénégalais veut rééquilibrer ses partenariats internationaux, et renouveler sa relation avec la France, l’ex-puissance coloniale, qui est son premier partenaire commercial. Ousmane Sonko a annoncé une “ère de rééquilibrage de nos relations avec le monde”. “Ce qu’ils veulent, c’est une politique gagnant-gagnant, c’est du patriotisme économique”, explique à l’AFP Babacar Ndiaye, analyste politique du think-tank Wathi.
Se revendiquant panafricaniste, il souhaite renforcer les missions diplomatiques du Sénégal en Afrique, promouvoir l’intégration régionale et proposer une réforme de la Cedeao renforçant le rôle du Parlement et de la Cour de justice.
Qui est Bassirou Diomaye Faye, ce jeune qui était encore inconnu des Sénégalais il y a un an ?
Originaire du village de Ndiaganiao, à une centaine de kilomètres de Dakar dans le département de Mbour, Bassirou Diomaye Faye a grandi dans le monde rural. Diplômé de droit à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, il est admis à l’École nationale d’administration. C’est à la Direction générale des impôts et domaines (DGID) qu’il rencontre Ousmane Sonko, Birame Souleye Diop et Wally Diouf Bodiang avec qui il cofonde le Pastef en 2014.
Ensemble, ils se politisent dans le Syndicat autonome des agents des impôts et domaine (SAID), fondé par Ousmane Sonko quelques années plus tôt. Bassirou Diomaye Faye en devient le secrétaire général jusqu’en 2022, après avoir été aux affaires juridiques.
Bassirou Diomaye Faye devient de plus en plus indispensable jusqu’à être placé à la tête du mouvement des cadres et de la diaspora. En 2019, il est l’architecte du programme Jotna, porté par Ousmane Sonko lors de l’élection présidentielle qui le classe en troisième position derrière Macky Sall et Idrissa Seck avec près de 16 % des voix.
Deux ans plus tard, en mars 2021, le leader du parti Ousmane Sonko est arrêté pour « trouble à l’ordre public », alors qu’il se rendait au tribunal accompagné d’une masse de militants après avoir été accusé de viols par une jeune employée d’un salon de massage. Alors que le pouvoir est accusé de vouloir éliminer l’opposant, son arrestation pendant plusieurs jours a provoqué de violentes manifestations qui ont fait quatorze morts, selon Amnesty International.
Amputé de son chef, l’ex-Pastef se tourne vers Bassirou Diomaye Faye, le fidèle bras droit, qui est mis sur le devant de la scène. Quelque temps plus tard, le parti est restructuré et Bassirou Diomaye Faye est promu secrétaire général de l’ex-Pastef.
Dès juin 2022, Bassirou Diomaye Faye commence à travailler sur le programme en vue de l’élection de février 2024. Mais il est arrêté en avril 2023 pour « outrage à magistrat » après une publication sur les réseaux sociaux où il dénonce la « clochardisation » de la justice. Quelques mois plus tard s’ajoutent les charges d’atteinte à la sûreté de l’État et appel à l’insurrection. Incarcéré pendant onze mois, il arrive à garder un rôle central dans l’élaboration du programme pour l’élection de 2024. Il est finalement libéré le 14 mars, en même temps qu’Ousmane Sonko, à la faveur d’une loi d’amnistie initiée par le président Macky Sall.
À leur sortie, en pleine campagne électorale, des foules en liesse les accompagnent en criant le slogan : « Diomaye moy Sonko, Sonko moy Diomaye » (« Diomaye, c’est Sonko, Sonko, c’est Diomaye »).
Ensemble, ils se lancent dans une campagne électorale express à travers le pays à bord d’une caravane qui va faire le tour du Sénégal au pas de course et qui draine des foules. Ils terminent par un meeting de clôture le vendredi 22 mars à Mbour, sa région d’origine. Le jour du scrutin, il vote dans son village natal en compagnie de ses deux épouses. Le soir même, les populations sortent en masse pour fêter la victoire, à la hauteur des immenses attentes et espoirs qui sont placés sur les épaules du plus jeune président de la République élu au Sénégal.
Bassirou Diomaye Faye, qui n’a jamais exercé de fonction élective nationale auparavant, va donc devenir le cinquième et plus jeune président de ce pays ouest-africain de 18 millions d’habitants. Un choix audacieux du peuple sénégalais.
Danielle N.