Diaspora à l’honneur : Pierre Thiam, promoteur de la gastronomie du continent africain en Amérique
Auteur et activiste social, il est une figure incontournable de la scène gastronomique américaine par ses restaurants et ses multiples ouvrages. De New York à la Californie, en passant par le Texas, ce sénégalais amène la cuisine d’Afrique de l’Ouest dans les assiettes, et tente un pari fou : mettre le fonio, une graine cultivée dans cette région du monde, sur la carte du monde de la gastronomie. Portrait de Pierre Thiam, cofondateur de Yolélé Foods.
La restauration, un hasard
Né et grandi à Dakar, au Sénégal, Pierre Thiam est aujourd’hui un véritable cordon bleu. Or, il n’a jamais voulu devenir chef. « Dans ma culture, la cuisine appartenait aux femmes », déclare-t-il dans une interview accordée à Chef for Development.
Étudiant en physique-chimie New York, fin des années 1980, il cherche un travail pour subvenir à ses besoins, mais ne se doute pas que celui-ci viendra changer sa vie à tout jamais. « J’étais étudiant en physique et chimie. Je suis tombé par hasard dans le monde de la restauration alors que j’étais à New York. J’ai été embauché comme aide-serveur dans un restaurant. Là, j’ai découvert le monde fascinant de la cuisine », raconte Pierre Thiam.
Il apprend vite et se retrouve un jour dans un restaurant italien de New York où il passe son temps libre à cuisiner mafé et autres plats de son enfance, ce qui attire la curiosité des membres du staff du restaurant, qui demande au jeune Sénégalais de leur préparer des plats africains pour les repas en équipe précédant les services. « Je n’étais pas un cuisinier de formation, donc j’appelais ma mère en permanence pour qu’elle me conseille sur les recettes. Et cela a tellement plu au personnel que quelques semaines plus tard, certains de mes plats ont intégré le menu du restaurant ! », « J’ai senti que la cuisine africaine était inconnue aux États-Unis. J’ai donc décidé de me donner corps et âme à donner plus d’expositions à notre gastronomie d’Afrique de l’Ouest », ajoute-t-il.
Sa réputation commence à le précéder, et Thiam devient assistant, puis chef cuisinier rapidement, après avoir conquis les palais de dizaines de connaisseurs. Il travaille dans certains des meilleurs établissements de la ville : Garvin’s, mais aussi au Boom, le restaurant à la mode où Madonna et toutes les grandes célébrités du moment se rendent.
Une rencontre qui va changer le cours de sa vie
Le célèbre chef Geoffrey Murray, le prend sous son aile. Thiam passe à la vitesse supérieure et décide, en 2001, de prendre son envol et de se lancer dans son aventure personnelle. « J’ai décidé d’ouvrir mon premier restaurant à Brooklyn, Yolélé, où on proposait des plats d’Afrique de l’Ouest et de la cuisine américaine, puis j’ai ouvert un second restaurant, Le Grand Dakar, quelques années plus tard. Je voulais qu’on donne une meilleure visibilité et une meilleure reconnaissance à la cuisine de cet endroit du monde, et ça a vite décollé », se rappelle-t-il.
Il est invité sur plusieurs plateaux de télévision, réalise des interviews et des recettes pour les pages gastronomies du New York Times, du New Yorker et d’autres grands magazines américains, puis écrit son premier livre de recettes en 2008 : « Yolélé, recettes du cœur du Sénégal ».
L’entreprise Yolélé
C’est en 2017, que Thiam a décidé de lancer Yolélé avec Philip Teverow. Yolélé est donc une entreprise qui produit des plats cuisinés et des snacks à base de fonio, cette graine cultivée et utilisée depuis plus d’un siècle en Afrique de l’Ouest. Jollof, mais aussi mafé et chips épicés, la marque devient de plus en plus connue et se retrouve dans les rayons de grandes enseignes américaines comme Whole Foods et Amazon. « C’était un projet qui me tenait à cœur depuis longtemps, car je voulais développer un projet avec cette graine si connue dans ma région de naissance, aux vertus nutritives et qui favorise une agriculture et un développement durable », souligne-t-il. « On travaille avec des agriculteurs locaux au Sénégal, car je veux que la marque ait un impact positif sur les populations et sur la planète. C’est un projet collectif qui se veut durable et créateur d’emplois », précise-t-il.
La mission de Yolélé
Selon Thiam, la mission de Yolélé est d’ouvrir les marchés aux communautés de petits exploitants en Afrique. « Le fonio est une céréale ancienne qui pousse dans les sols pauvres. Il est nutritif, résistant à la sécheresse et tout à fait approprié pour relever les défis du changement climatique auxquels ces communautés sont confrontées. Le fonio est cultivé dans une région appelée Sahel, située au sud du désert du Sahara (s’étendant du Sénégal, du Mali, du Burkina Faso, du nord du Nigeria, du Bénin…). En faisant du fonio une culture de classe mondiale, nous avons la capacité de transformer cette région, qui compte parmi les plus pauvres du monde, en une économie d’exportation », explique-t-il.
Thiam poursuit sa montée en puissance dans le monde de la gastronomie. Il a sorti de nouveaux ouvrages de recettes, dont le dernier en date, « Simply West African », disponible depuis mi-septembre, arrive progressivement à mettre des plats africains sur les tables américaines. « Le pari était audacieux, mais les gens ont rapidement aimé les plats et se sont ouverts à des saveurs différentes, à des goûts et des ingrédients qui ne leur étaient pas familiers. La cuisine, c’est aussi et surtout une expérience culturelle, et je suis heureux de contribuer à une meilleure reconnaissance de la cuisine africaine ici », précise-t-il au micro de RFI. Il cuisine pour des grands de ce monde, à l’instar de Ban Ki-moon, mais aussi Bill et Melinda Gates, qui adorent ses créations.
Un empire qui va grandissant !
L’empire Thiam continue de s’étendre, avec sa nomination comme chef exécutif dans le restaurant du Pullman Hotel de Dakar, et l’ouverture du Nok by Alara, à Lagos au Nigeria, mais aussi de Teranga, le restaurant du African Center, le musée des cultures africaines à New York.
Il participe à de nombreux colloques sur les cuisines africaines, collabore avec bon nombre de chefs qui veulent apprendre sur les spécialités du continent et intervient dans plusieurs TED Talks, essentiellement sur le sujet de l’environnement et de l’importance présente et future de l’alimentation venue d’Afrique. « Je n’aurais jamais pensé devenir une figure aussi importante dans la mise en valeur des cuisines africaines aux États-Unis. Mais je me dois de tout faire pour mettre l’Afrique sur la carte mondiale de la gastronomie. »
Danielle N.