Jean-Christin Téné : l’ingéniosité au service de la résilience et de l’innovation camerounaise

Crédit photo-Jean-Christin Tene-Facebook

« Si vous voulez, vous pouvez. L’école qu’on vous enseigne, c’est pour mieux vous aider à vous intégrer dans la société. Il faut travailler, et ne jamais oublier de rendre service pour rien, sans rien attendre. » Ces mots, Jean-Christin Téné les répète inlassablement à la jeunesse. Ils résument une vie entière bâtie sur l’effort personnel, le sens du service, la créativité et une vision singulière de l’auto-emploi. Aujourd’hui directeur général de Saveurs des Vins et pionnier de la transformation agroalimentaire du bitter cola en produits thérapeutiques, Téné est une figure dont l’ingéniosité dépasse les frontières camerounaises.

Une enfance rude mais fondatrice

Originaire de Bançois, Penka-Michel, dans la région de l’Ouest Cameroun, Jean-Christin Téné grandit dans une famille « extrêmement pauvre ». Son père, catéchiste, doit subvenir aux besoins de 12 enfants avec un salaire d’à peine 30 000 FCFA.
Dans ce contexte, chacun doit contribuer. Très tôt, autour de cinq ans, le jeune Jean-Christin porte déjà des arachides sur la tête pour aller les vendre au quartier, ramenant le soir l’équivalent de la marchandise reçue. L’enfance n’est pas facile, mais elle est riche d’enseignements : travail, débrouillardise, solidarité.

Ces années forgent ce qu’il appelle sa « sagesse précoce » : « Peut-être la souffrance… On a fait beaucoup de petits métiers pour vivre. »

Il apprend aussi par l’observation, convaincu que le meilleur apprentissage se fait en marchant derrière les aînés, « le jour comme la nuit ». Une philosophie qui l’amène à défendre le travail des enfants — non pas le travail forcé, mais la participation naturelle à la vie familiale et communautaire.

Un parcours scolaire mouvementé, entre discipline et caractère

Jean-Christin Téné fait ses classes dans plusieurs établissements de l’Ouest : CES bilingue de Bafoussam (première promotion du bilinguisme), Collège privé de l’Ouest, Collège Saint-Thomas d’Aquin, réputé pour sa rigueur. Élève parfois turbulent — « je me faisais renvoyer deux ou trois jours chaque année scolaire » — il garde néanmoins de cette période un sens du cadre et du défi.

Sa réussite au baccalauréat constitue un épisode fondateur : déterminé à ne pas poursuivre des études supérieures qu’il juge trop incertaines au regard du chômage des diplômés, il commence à vendre des produits cosmétiques dès la fin des épreuves écrites.

Le jour de l’oral, il se présente devant le jury… avec sa caisse de marchandises. Sans avoir révisé, il expose son plan de vie, précis, chiffré, réaliste. Impressionnés, les examinateurs lui accordent une mention Bien.

« Vous avez répondu plus que les autres. Vous avez compris que l’école sert à prendre de bonnes décisions. » lui dira plus tard un de ses professeurs.

L’esprit d’entreprise comme instinct de survie

Avant même l’université, Téné a déjà une expérience pratique rare :
pousseur à Bafoussam, vendeur à la criée, petit commerçant, agriculteur… Il connaît chaque quartier sur le bout des doigts et s’impose un objectif : se bâtir un capital et une expérience qui valent mieux, à ses yeux, qu’un diplôme dormant.

Il se fixe alors une stratégie : générer 1 500 FCFA de bénéfice par jour, économiser, et accumuler 1 800 000 FCFA au bout de trois ans. Une vision entrepreneuriale d’une maturité exceptionnelle pour un jeune de son âge.

C’est cette manière de penser qui, plus tard, fera de lui un entrepreneur accompli capable d’anticiper, planifier et transformer l’ordinaire en opportunités.

Le sens du service : un principe de vie

Pour Jean-Christin Téné, l’une des clés de la réussite réside dans la capacité à servir les autres. Avant de réclamer un soutien, dit-il, il faut se demander ce que l’on a déjà offert aux gens autour de soi : « Qu’as-tu fait pour ton père ? Pour ton voisin ? Pour ton oncle ? »

Il cite souvent l’histoire d’un homme d’affaires de son quartier, qui deviendra l’un de ses premiers soutiens. Sans rien demander en retour, le jeune Téné nettoyait quotidiennement son véhicule, profitant même d’un tuyau percé devant la maison pour optimiser son « service ».
Un geste désintéressé qui finira par attirer l’attention, puis la confiance.

Cette philosophie — travailler, servir, apprendre — deviendra la signature de son parcours.

Un innovateur qui redonne vie au Bitter Cola

L’une des œuvres majeures de Jean-Christin Téné est la valorisation du bitter cola (Garcinia kola), une noix traditionnellement consommée mais peu transformée. Grâce à son sens de l’innovation, il développe des produits thérapeutiques issus de cette plante aux propriétés reconnues.

Il contribue ainsi à moderniser un savoir ancestral africain, tout en offrant de nouvelles perspectives économiques autour d’une ressource locale.

Saveurs des Vins : une diversification maîtrisée

Directeur général de Saveurs des Vins, il s’illustre également dans le secteur de la distribution et de la valorisation des vins, mettant en avant un savoir-faire qui marie produits locaux et références internationales.

Son esprit agile et polyvalent lui vaut l’image d’un homme aux multiples casquettes, dont le parcours inspire autant qu’il intrigue.

La force tranquille d’un bâtisseur

Jean-Christin Téné incarne une génération d’entrepreneurs africains autodidactes, visionnaires et résilients. Parti de presque rien, il a construit une trajectoire fondée sur le courage, l’observation, la créativité et l’altruisme.

Sa vie est un message, une leçon, une énergie : « Si vous voulez, vous pouvez. »

Danielle N.