Fatoumata Kébé, la tête dans les étoiles, les pieds sur Terre

Crédit photo-Radio France
Rien ne prédestinait Fatoumata Kébé, fille d’immigrés maliens et enfant de la Seine-Saint-Denis, à devenir l’une des astrophysiciennes les plus médiatisées de sa génération. Et pourtant, à force de volonté, de patience et de rêves nourris d’images du ciel, elle s’est imposée dans un univers encore très fermé, devenant une « passeuse de science » engagée et reconnue.
Tout commence à Noisy-le-Sec, dans un appartement modeste, où la petite Fatoumata découvre, à huit ans, une encyclopédie pleine de photos du ciel. Fascinée, elle se prend de passion pour les astres, persuadée que l’espace se trouvait « juste après les nuages ». Cette curiosité se mue rapidement en vocation. Livrée à elle-même dans un système scolaire peu préparé à accompagner les ambitions scientifiques des élèves de banlieue, elle se débrouille seule : salons étudiants, recherches, conseils glanés çà et là. Son objectif est clair : devenir ingénieure, première étape pour atteindre les étoiles.
Mais le chemin est semé d’embûches. Au lycée, un professeur de mathématiques refuse de remplir son dossier pour une classe préparatoire, lui lançant : « Le bac, c’est déjà un cadeau. » Une phrase qui résonne longtemps comme une injustice criante, révélatrice d’un racisme ordinaire. Fatoumata n’abandonne pas. Elle entre à l’Université Pierre-et-Marie-Curie, intègre un master en ingénierie spatiale, découvre les débris spatiaux – une forme de pollution orbitale – et leur consacre sa thèse de doctorat à Sorbonne Université. Son sujet, innovant et crucial, est salué par le jury, dont fait partie l’ingénieur spatial Christophe Bonnal.
Mais Fatoumata Kébé ne se contente pas d’un parcours académique brillant. Elle choisit une voie indépendante, à la croisée de la science, de l’écologie et de la transmission. Elle fonde Connected Eco, une entreprise sociale qui conçoit des systèmes d’irrigation connectés pour l’agriculture au Mali, et Kebela Sanée, un cabinet de conseil pour les jeunes entreprises du secteur spatial. Elle crée également Éphémérides, une association qui démocratise l’astronomie auprès des jeunes, jusque dans son ancien collège à Noisy-le-Sec. L’un de ses plus beaux souvenirs : un atelier avec deux experts américains venus y présenter un fragment de roche lunaire.
Son expertise et son charisme la propulsent dans les médias dès 2014. Elle devient une figure populaire de la vulgarisation scientifique. En 2018, le magazine Vanity Fair la classe parmi les Françaises les plus influentes du monde. Sa voix, posée et engagée, porte sur les plateaux télé, où elle défend une science accessible, connectée aux enjeux de société, de la pollution orbitale à la sécheresse en Afrique.
Auteur de trois ouvrages, dont « La Lune est un roman », « Lettres à la Lune » et « Au-delà du ciel », elle sublime les images prises par les télescopes spatiaux et raconte l’univers avec poésie et pédagogie. Son objet céleste préféré ? Saturne, la majestueuse aux anneaux.
À 38 ans, Fatoumata Kébé incarne une nouvelle génération de scientifiques. Polyglotte, formée à l’Université de Tokyo, elle rêve désormais de marcher sur la Lune, bien décidée à franchir un jour la frontière entre l’observation et l’exploration. Elle affirme : « Tant que rien ne prouve que c’est impossible, je pense que je vais y arriver. »
De la banlieue aux étoiles, Fatoumata Kébé n’a jamais cessé de croire en la force du savoir, de la transmission, et en la capacité des rêves à redessiner le réel.
Danielle N.