À la tête de la CSE, Oumar Sow réinvente le rôle d’héritier en Afrique

Crédit photo-entrepreneuriat par excellence
Longtemps perçu comme l’héritier privilégié d’un empire prospère, Oumar Sow révèle une réalité bien différente : un héritage fragile, un groupe à sauver et une responsabilité écrasante. De l’enfant de Hann Marinas au dirigeant de 5 000 employés, de l’obligation familiale à la passion retrouvée, son parcours raconte l’histoire d’un homme qui a dû se battre contre les apparences pour devenir bâtisseur.
Une enfance entre rigueur, chantiers et devoir
Né en août 1962 à Abidjan, il grandit avec ses cinq frères dans la maison familiale de Hann Marinas, à Bel-Air (Dakar). Un cadre chaleureux, mais ancré dans le réel : chez les Sow, la valeur du travail n’est pas un slogan, mais un mode de vie. Le dimanche, presque machinalement, leur père Aliou Sadio Sow, ingénieur visionnaire et fondateur de la Compagnie sahélienne d’entreprises (CSE)en 1970, principal groupe sénégalais de travaux publics qui a participé à nombre de grands projets : aéroport international Blaise-Diagne de Diass, travaux de réhabilitation de la route nationale Ndioum-Thilogne, construction du train express régional (TER), voie de dégagement nord (VDN), chantier d’assainissement de la ville de Dakar, pont de Kolda en Casamance…, les conduit visiter les chantiers. Oumar observe, écoute, assimile. Sans le savoir encore, il absorbe les codes d’un métier qu’il n’a pas choisi.
Après un bac chez les pères maristes, il prend la route de la France pour une prépa HEC, puis traverse l’Atlantique. UCLA, NYU Stern, Pace University : l’Amérique s’impose comme un terrain d’ambition. Il décroche un MBA en finance, rêvant de carrière internationale. Mais la vie a ses propres plans. Le 28 septembre 1987, dans le bureau solennel de son père à Dakar, l’aîné rentre au bercail et fait le choix de rejoindre l’entreprise familiale. . Choix du cœur ? Choix du devoir ? À ce moment-là, il l’ignore. Mais c’est le début d’une longue mission.
Le terrain comme école : Sierra Leone, Guinée et diplomatie africaine
Attaché de direction en 1987, il est envoyé dès 1988 en Sierra Leone pour administrer un projet routier. Le terrain devient son premier professeur : crises politiques, imprévus, gestion humaine, endurance. En 1994, il prend la direction pays en Guinée, découvrant les rouages du pouvoir : ministères, Trésor public, cabinets, négociations.
Oumar apprend à lire les hommes autant que les dossiers.
En 2000, l’arrivée d’Abdoulaye Wade au pouvoir ouvre une nouvelle ère. Oumar, devient l’interlocuteur privilégié de la nouvelle classe dirigeante au sein de la CSE, et se voit nommé peu après directeur général adjoint du groupe. Le fondateur de la CSE, tout en restant la figure tutélaire de l’entreprise et l’architecte des orientations stratégiques qui président à ses destinées, passe alors progressivement le relais à son fils. En 2015, la CSE devient une holding.
Le 23 août 2017, Aliou Sadio Sow (84 ans), s’éteint à Paris. La succession est fluide, car écrite depuis longtemps : Oumar Sow prend les commandes. Dans ce nouveau chapitre, le président du groupe CSE s’appuie sur une équipe soudée et profondément engagée. À ses côtés, ses frères Ardo et Mohamed occupent une place centrale, tout comme des collaborateurs de longue date qui forment le noyau dur de la maison CSE. Parmi eux : Birane Wane, son conseiller spécial, Massamba Guèye, secrétaire général du groupe, Aliou Niasse, directeur général adjoint, et Babacar Diop, directeur administratif, celui-là même qui initia Oumar Sow au métier alors qu’il n’était encore qu’étudiant.
Un héritage en trompe-l’œil : “On nous a laissé des entreprises, pas des milliards en banque.”
Oumar Sow prend soin de déconstruire une idée répandue : celle de l’héritier milliardaire.
La vérité est plus dure. « Mon père nous a laissé des entreprises, mais pas l’argent qui va avec. En 2017, on peinait à payer les salaires. » En effet la CSE est au bord du gouffrequand Oumar prend les rênes. Il actionne alors un chantier titanesque de restructuration :CSE Routes,CSE Immobilier,CSE Granulats,CSE Énergie. Il ferme les pays trop instables du Sahel, renforce les marchés clés (Sénégal, Guinée, Côte d’Ivoire, Gabon) et diversifie les activités vers l’énergie, l’industrie, les matériaux, les participations bancaires. Il transforme une charge lourde en un groupe performant.À ceux qui l’imaginent héritier privilégié, il répond : « J’ai hérité d’une responsabilité, pas d’une rente. »
Art, chevaux, foi : les passions qui l’équilibrent
Derrière l’entrepreneur, il y a le collectionneur. Depuis 35 ans, il accumule plus de 400 œuvres, des artistes africains qu’il admire et soutient.
Il a créé : Téké Beach, résidence d’artistes à Pointe-Sarène (2018). Quatorzerohuit, studio-galerie fondé avec Bibi Seck (2020), aujourd’hui incontournable dans le design africain contemporain. En 2025, il est devenu le deuxième Sénégalais de l’histoire à obtenir une casaque France Galop, ouvrant la voie à sa passion pour les chevaux.
Il travaille à la création d’un orphelinat, soutient des entrepreneurs comme Maraz, et multiplie les initiatives sociales. Pour lui, la réussite se résume en une phrase : « Impacter le maximum de vies. »
Oumar Sow n’a pas choisi cet empire. Il l’a reçu, puis il l’a transformé, peaufiné, structuré. Son histoire n’est pas celle d’un riche héritier, mais celle d’un homme qui a accepté la charge, puis qui en a fait une œuvre. Un patron lucide, un homme spirituel, un collectionneur passionné, un bâtisseur discret. Un leader qui préfère l’impact à la lumière, la vérité au vernis.
Oumar Sow est, en fin de compte, un héritier devenu bâtisseur, un homme complexe et profondément humain dont la grandeur tient dans un simple principe : diriger sans se renier, transmettre sans dominer, bâtir sans s’arrêter.
Danielle N.



