Diogo Sow : “Entreprendre, c’est oser” — le récit d’un leader qui refuse les limites

À 38 ans, Diogo Sow fait partie de cette génération de leaders discrets, déterminés, qui réinventent le récit de la diaspora africaine en Europe. Arrivé de Guinée en 2006 avec une ambition simple : décrocher un diplôme étranger “pour n’avoir aucune porte close”, il a transformé les épreuves, les obstacles et les responsabilités familiales en un moteur puissant. Comptable de formation, économiste, expert en gouvernance et en transformation organisationnelle, il est aujourd’hui à la tête de plusieurs entreprises actives en Belgique, en Allemagne et dans divers secteurs : finance, industrie, construction, stratégie.
Son parcours force l’admiration. Travail acharné dans un restaurant étoilé, nuits d’étude ponctuées de jobs étudiants, deuils qui bouleversent une vie, responsabilités parentales, ambition contrariée par le contexte professionnel, puis une décision radicale : celle de devenir entrepreneur pour trouver la liberté, inspirer sa communauté et façonner le changement qu’il souhaite voir dans le monde.
Dans cet entretien exclusif, Diogo Sow revient sur son parcours entre la Guinée et la Belgique, sur les valeurs qui le guident, son engagement contre les discriminations, son entrée dans l’entrepreneuriat, ainsi que sur sa vision d’une jeunesse noire libre, compétente et actrice du changement. Un témoignage sans détour, nourri d’expérience, de lucidité et d’une volonté inébranlable de construire, d’impacter et de transmettre.
Bonjour M. Diogo. Pouvez-vous vous présenter en quelques mots et revenir sur votre parcours, de la Guinée à la Belgique ?
Je suis Diogo Sow, j’ai 38 ans. Je suis d’origine guinéenne, arrivé en Belgique en 2006 pour poursuivre ma formation. Maman a voulu que nous ayons des diplômes étrangers afin de n’avoir aucune porte close. Dès mon baccalauréat en poche à la Sainte-Marie, je suis arrivé en Belgique afin de poursuivre mes études universitaires.
J’ai une licence en comptabilité de HELMo Sainte-Marie, un master en sciences économiques de l’UNamur, une certification en gouvernance d’entreprise du HEC, ainsi qu’une certification en gestion du changement.
Qu’est-ce qui a le plus marqué votre parcours académique et personnel depuis votre arrivée en Europe ?
Organisation, volonté, vision et travail sont les clés de la réussite. Ma volonté de réussir et de rendre ma maman fière de mon parcours et de mon autonomie m’a donné plus que des ailes.
Un de nos aînés expatrié en Belgique m’avait gentiment conseillé de venir travailler dans une cabine téléphonique avec lui afin d’avoir de l’argent et de quitter l’école. J’ai supprimé son numéro dès que je suis parti de là-bas. Nous n’avions pas la même vision, même si à son niveau c’était de la bienveillance.
Durant ma deuxième année d’études en comptabilité, je cumulais un emploi du soir dans un restaurant étoilé à Liège et des jobs étudiants en journée, en parallèle de mon cursus académique. Malgré une charge de travail importante et un échec important en première session, j’ai poursuivi avec une conviction intacte. À ceux qui doutaient de la compatibilité entre études et activité professionnelle, j’opposais une réponse simple : l’organisation.
Dans un intervalle de deux ans, j’ai perdu ma jeune sœur ; j’ai été, en tant que grand frère, ramener son corps en Guinée depuis le Maroc. Ma première femme est décédée deux ans après d’un cancer. J’étais le papa chanceux de nos trois filles (Dieu avait décidé que j’allais être seul à les voir grandir). Chanceux, parce que cette vie m’a appris que tant que tu vis et que tu es en bonne santé, tu peux changer ton monde.
À quel moment avez-vous senti que l’entrepreneuriat était la voie qui vous correspondait ?
Après le décès, j’occupais le poste de contrôleur financier chez Marsh McClennan. J’ai travaillé encore plus pour oublier ; j’ai côtoyé des leaders, des visionnaires. Mais j’avais des contraintes familiales qui n’étaient pas forcément compatibles avec la position que je visais. De plus, un manager N+3 basé à Londres m’avait refusé un poste à Londres parce qu’il estimait qu’en Belgique ils n’allaient pas pouvoir me remplacer par rapport à ce que j’arrivais à faire.
J’ai donc décidé de devenir indépendant pour trois raisons :
- Être libre de gérer mes enfants. Pas de permission à demander pour m’absenter lorsqu’elles ont besoin de moi.
- Être acteur du changement, montrer à ma communauté qu’il ne faut pas être blanc pour réussir à atteindre des sommets.
- Je sentais que j’avais un potentiel non exploité par mes précédents employeurs.
Quels sont les valeurs et principes qui guident vos choix aujourd’hui, dans la vie comme dans vos projets ?
Garder l’humain au milieu de ma croissance, combler les attentes des tiers, toujours faire mieux qu’hier et pouvoir dire fermement non.
Comment votre engagement contre les discriminations s’est-il construit et comment se traduit-il au quotidien ?
Le point 2 de ma raison d’être entrepreneur est en lien avec ce point. Je n’ai jamais ressenti une discrimination. Est-ce parce que je n’ai jamais laissé quelqu’un croire une fraction de seconde que j’avais un complexe d’infériorité ?
Mais j’ai vu à la télévision des histoires, et étant papa, j’ai réalisé que mettre à l’abri financièrement mes enfants n’est pas suffisant. Je devais participer à rendre ce monde meilleur pour eux. Durant mes fonctions de salarié, j’ai toujours montré ma valeur et, depuis que je suis chef d’entreprise, je fais en sorte d’être un modèle et d’inspirer.
En quoi votre appartenance à cette “jeunesse noire, libre et compétente” influence-t-elle votre vision du monde et vos initiatives ?
Cela nous pousse à nous dépasser. C’est dommage, mais on en fait toujours plus que les autres, parce que nous avons un gap à rattraper. Nous avons envie d’équilibrer les choses.
Mon rêve est de vivre cette période durant laquelle « immigré » sera égal à « expatrié ».
Pouvez-vous présenter votre entreprise et expliquer la mission qui se trouve au cœur de ce projet ?
J’ai des sociétés dans trois secteurs de notre économie :
- Bâtiment et promotion immobilière en Belgique
- Industrie (traitement thermique) en Belgique et galvanisation en Allemagne
- Finance (expertise comptable et management) en Belgique
Comment est née l’idée de cette entreprise ? Y a-t-il un besoin spécifique que vous avez voulu adresser ?
Bâtiment : c’est un rêve d’enfance de construire ma maison. Étant donné que je ne suis pas devenu maçon, je voulais faire construire mon agrandissement de maison par ma propre société.
La finance : c’est la conséquence de ma formation et de mon expérience professionnelle.
L’industrie : cela rejoint mon envie d’apporter de la valeur ajoutée à ma société. Être un acteur et un influenceur du quotidien.
Quels services ou produits proposez-vous aujourd’hui ?
Traitement thermique via Sonitherm
Galvanisation via Viemetall Galvanic GmbH
Parachèvement via HLKD Services
Maçonnerie via DSC Renov
Promotion immobilière via DSC Invest
Comptabilité via AS Consulting
Stratégie, management via AS Solutions
Qui sont vos principaux clients ou bénéficiaires ?
Mes clients sont dans tous les secteurs : armement, outillage, construction, avocat, boulanger, garagiste, automobile, usinage, infirmière, particuliers…
Quelle est la valeur ajoutée de votre entreprise par rapport à ce qui existe déjà sur le marché ?
L’expertise de 75 ans pour Viemetall, 25 ans pour Sonitherm, en plus de mes valeurs. Dans toutes mes sociétés, identifier et répondre aux besoins du client reste ma priorité. Je suis orienté solutions.
Comment votre parcours, vos diplômes et vos expériences ont-ils influencé votre manière d’entreprendre ?
J’ai commencé comme analyste crédits, puis j’ai été à la comptabilité générale ; après j’ai exercé des postes de contrôleur (coûts, gestion, financier) et administrateur. C’est comme s’il y avait six personnes autour de chaque décision. Sans oublier le fait que j’ai deux cultures et que j’ai à chaque fois porté le costume comme s’il était fait sur mesure.
Quels défis avez-vous rencontrés au lancement de votre activité et comment les avez-vous surmontés ?
Un financier qui devient industriel et coordinateur de chantiers : j’ai dû vite comprendre et m’adapter. Cela a légitimé ma position. Je ne suis pas simplement l’investisseur. J’arrive à créer une équipe autour de moi pour atteindre les objectifs à chaque rachat et/ou création.
Comment l’innovation se manifeste-t-elle dans vos services, vos méthodes ou votre vision stratégique ?
Elle fait partie de la vie de mes activités. Pour rester compétitif et viable, le chef d’entreprise doit mettre l’innovation au centre de ses actions. Cette innovation peut se caractériser par de nouvelles technologies, par une manière différente de travailler, par des automatisations. Le but recherché est d’accroître la rentabilité afin de pérenniser ses activités.
Quelles sont vos ambitions à court et à long terme pour votre entreprise ?
À court terme, il y a une nouvelle acquisition industrielle en vue courant 1er trimestre 2026 en Belgique. Je vais continuer en parallèle à faire grandir les structures existantes.
À long terme, dans sept ans, j’aimerais limiter mon temps de travail à 4 h par jour. J’aurai travaillé de manière acharnée et je mériterai de vivre et profiter de ma famille.
En quoi votre engagement contre les discriminations se reflète-t-il dans l’identité, les pratiques ou les objectifs de votre entreprise ?
J’ai occupé, pour Marsh McClennan, la fonction de D&I Manager pour la région EMEA. Cette expérience m’aide au quotidien à éradiquer toute discrimination et manque d’équité dans mes entreprises.
La politique salariale doit être équitable ; mes collaborateurs doivent se sentir à la maison en venant travailler pour moi. De ce fait, si j’identifie un élément perturbateur de cet équilibre, je n’ai pas de mal à le licencier.
Moi, issu d’une minorité en Belgique, je participe à faire changer l’image que nous pouvons avoir de nous-mêmes mais aussi l’image que les autres peuvent avoir de nous.
Quel message souhaitez-vous adresser aux jeunes, notamment celles et ceux issus de la diaspora africaine ?
Tu es jeune, tu es en bonne santé ? Alors tu peux tout faire. Tu peux t’identifier aux meilleurs et essayer de les surpasser. Et si tu tombes, apprends de tes erreurs et renais. N’aie pas peur d’aborder les personnes. Ouvre-toi au monde et participe à le façonner.
Mais j’aimerais aussi dire à nos aînés d’accepter d’endosser le rôle de mentor pour la jeunesse. Pour avoir un impact positif, nous devons être unis et nombreux.
Que signifie pour vous “être acteur du changement” ?
C’est être sur la scène mais pas comme figurant ni comme spectateur. Grossièrement, il faut mettre la main à la pâte.
Quels conseils donneriez-vous à une jeune femme ou un jeune homme qui souhaite se lancer dans l’entrepreneuriat ?
Foncez !!!
Entreprendre, c’est oser. Entreprendre, c’est une leçon de vie. Sois entouré de bonnes personnes et tu iras loin. Commence petit aujourd’hui pour être grand demain.
Merci Diogo !
Propos recueillis par Danielle N. / Yannick Wafo



